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La raison et les croyances étant toujours liées, sommes-nous condamnés au scepticisme ?

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Michael Lynch. Éloge de la raison. Pourquoi la rationalité est importante pour la démocratie. Agone, collection « Banc d’essais ».

Les « fake news » (fausses nouvelles volontaires), ne sont qu’un type de « pollution informationnelle » parmi d’autres, comme « la propagande, [les] publicités politiques ouvertement trompeuses diffusées sur les médias et réseaux sociaux, [les] emballements creux de Twitter et l’usage par la Maison-Blanche des conférences de presse pour répandre des mensonges, quelles que soient les données qui les démentent », écrit Michael Lynch.

Elles conduisent un certain nombre de personnes à croire en des faits qui n’en sont pas, mais aussi elles déstabilisent un grand nombre d’autres personnes qui finissent par ne plus savoir quoi penser. Elles en deviennent de plus en plus sceptiques envers toute source d’informations. L’objectivité étant définitivement vue comme impossible, elles finissent par ne plus croire en l’intérêt de conserver un concept aussi peu assuré que celui de vérité.

« La démocratie, un espace des raisons »

Michael Lynch.

Chacun est alors tenté de se réfugier vers les croyances et les valeurs qui l’arrange et de rationaliser ses propres partis pris. « Fausses nouvelles » est à présent utilisé « pour désigner tout traitement médiatique avec lequel on est en désaccord . (…) Cela peut nous conduire à renoncer complètement à la vérité, à la pensée critique ».

Le philosophe élève sa voix : « Il est crucial que nous n’abandonnions pas l’idéal selon lequel la démocratie est un espace des raisons. (…) Les raisons – et en particulier les raisons qui résultent des principes épistémiques largement associés à la science – ont de l’importance parce qu’elles incarnent des valeurs démocratiques. (…) Nos valeurs politiques et épistémiques sont entrelacées au niveau le plus profond ».

Ce serait un contresens d’interpréter l’appel de l’auteur comme une invitation à nous courber devant la science et ses déductions. Ce qu’il faut absolument retenir de la science, c’est plus sa démarche, ses méthodes de progression (inférence logique, observation, transparence, etc.), la mise en débat des thèses et des faits, que ses résultats.

Plusieurs passages du livre traitent de la meilleure façon de trouver une « monnaie commune », de construire des consensus entre « savoirs » et « croyances », celles-ci étant particulièrement vivaces aux États-Unis où les traditionalistes religieux, par exemple, ont un poids politique et social considérable.

« Les raisons objectives impliquent toujours des valeurs »

L’autre point important, pour que tous acceptent de discuter ensemble, est de reconnaître que « les raisons objectives impliquent toujours des valeurs » (ce que tous les rationalistes ne sont pas forcément prêts à accepter). Alors seulement, tous se retrouvent en quelque sorte sur un même plan, chaque interlocuteur étant doté d’une même dignité, d’une même légitimité. Et si le défenseur le plus vif d’une croyance donnée accepte la méthodologie proposée par la connaissance rationnelle, chacun trouvera son compte.

Ni la force, ni l’autorité de l’institution ne suffisent à convaincre, du moins en démocratie : « Je ne peux pas justifier vis-à-vis de vous mes prises de positions politiques simplement en exerçant un pouvoir sur vous, car se serait violer le principe libéral fondamental d’après lequel nous devons nous traiter les uns les autres avec un égal respect. Je dois plutôt essayer de vous persuader que ma conception des choses est plus proches de la vérité que la vôtre. C’est alors que je vous traite en être rationnel autonome, capable de juger par lui-même de ce qu’il faut croire. »

>> Ce programme semble tout à fait… raisonnable. Mais ceux pour qui la croyance prime le savoir humain vont-ils lire le livre ? Dès lors, comment faire avec eux ? Michael Lynch ne dit rien à ce sujet.

• Michael P. Lynch est notamment l’auteur de Truth in Context : An Essay on Pluralism and Objectivity (MIT Press, 1998) et de Truth as One and Many (Oxford University Press, 2009). Il intervient par ailleurs fréquemment dans le New York Times, le New Yorker et le Guardian.


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